Musées de la BD

Musées de la BD

LA BANDE DESSINEE AU MUSEE consécration ou hérésie ?

Mikaël Demets pour Evene.fr – Février 2009 – Le 15/02/2009

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Le musée d’Art contemporain (MAC) de Lyon organise jusqu’au 19 avril une exposition collective et éclectique, ‘Quintet’, autour de cinq auteurs de bande dessinée : Stéphane Blanquet, Francis Masse, Gilbert Shelton, Joost Swarte et Chris Ware. L’occasion de se demander si la place de la bande dessinée est vraiment au musée…

La bande dessinée est à la mode. Elle s’est fait une place dans le paysage culturel, trouvant un écho de plus en plus grand auprès des médias comme du public. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une nouvelle adaptation de BD ne débarque sur grand écran. Estampillée « 9e art », elle fait également parler d’elle dans les salles des ventes, où des planches de Pratt, Hergé ou Bilal s’arrachent à prix d’or. Suite logique de cette reconnaissance, c’est désormais dans les musées que bulles et vignettes font leur nid.

La nuit au musée

1822_roy Le Pop Art, la Figuration narrative ou la création contemporaine ont largement puisé dans la culture populaire, détournant, recyclant, malaxant, exaltant les codes universels de la bande dessinée. Roy Lichtenstein (ci-contre), Erro ou Télémaque ont créé un pont entre l’art séquentiel et l’art tout court. Mais l’entrée au musée, pourtant inaugurée il y a plus de 40 ans avec l’exposition ‘Bande dessinée et Figuration narrative’ au musée des Arts décoratifs, fut poussive, liée à une lente reconnaissance artistique. « C’est peut-être son image laborieuse qui a ralenti le processus : la BD est un travail de moine, loin de la spontanéité à laquelle l’imaginaire collectif associe l’artiste », (1) suggère Winshluss, qui voit surtout dans cette consécration par les institutions l’occasion pour la BD de reconnaître son histoire. « Tant mieux pour nous, mais surtout pour les générations d’avant. Ces ouvriers payés à la planche, qui n’ont jamais eu le respect qu’ils méritaient. Un type comme Carl Barks, qui avait l’air sous acides tellement ses histoires étaient géniales, est passé pour un neuneu toute sa vie avec ses petits Donald. » Le pouvoir de conservation et de construction d’une mémoire du musée manque cruellement à la bande dessinée, mode d’expression ô combien éphémère. Or, c’est aussi en prenant conscience de son passé que le 9e art pourra asseoir sa légitimité.

Au-delà de la reconnaissance que révèle cet adoubement, l’intrusion des comics dans un nouvel espace leur permet évidemment de toucher un nouveau public. Mieux, elle propose une nouvelle approche, esthétique, raisonnée, voire didactique, d’un monde souvent trop mal connu, et pour lequel il n’existe aucune réelle introduction. Le genre est d’ailleurs pour l’instant largement dénigré par le système scolaire, aussi bien dans le cursus littéraire que dans le cursus artistique – alors qu’il y a désormais un film au programme du Bac littéraire. Le musée peut alors combler cet ostracisme et devenir le lieu de « d’éclosion » de la bande dessinée. (2)

Un art à lire

1822_wareLa salle Chris Ware de l’exposition Quintet, Photo (c) Mikaël Demets Encore faudrait-il que cette entrée de la bande dessinée au musée soit pertinente. Il ne s’agit évidemment pas de se demander si cette « sous-culture » mérite ou non de franchir le seuil de la mémoire artistique – que les ignorants qui s’y opposent ouvrent un album de Ware, Masse ou consorts -, mais bien de savoir si l’alignement de planches ou de dessins préparatoires sur un mur possède un réel intérêt. « Aujourd’hui, les gens sont très intéressés par les arts visuels, analyse l’Américain Chris Ware, l’un des cinq auteurs exposés au MAC de Lyon. Ca marche de mieux en mieux, donc les musées n’hésitent plus à recourir aux auteurs de BD, souvent aussi intéressants que des artistes visuels. Mais la priorité, c’est d’être intéressant à lire.« 

Et c’est bien là que l’on touche à l’absurdité des expositions consacrées au 9e art : admirer une planche sortie de son contexte, amputée de son intrigue, est-ce bien judicieux ? Une telle démarche nie l’essence même de la bande dessinée, la réduisant à un objet purement artificiel et esthétique, déconnecté de sa réalité narrative. « Pour moi, la bande dessinée reste un art à lire, et non un art à voir », insiste Ware. Par définition, la bande dessinée joue sur l’interaction fusionnelle entre texte et image, elle est un langage, une forme d’écriture, et non une illustration. Chris Ware tend ainsi à rendre son dessin invisible, au service d’une histoire, comme la typographie sert la lecture du roman. Pour entrer au musée, la bande dessinée force sa nature ; les scénaristes restent dehors et les auteurs ne sont plus que des dessinateurs.

(1) Tous les propos cités dans cet article sont tirés d’entretiens réalisés par Evene avec Scott McCloud (Angoulême, janvier 2008), Winshluss (Paris, janvier 2009), Chris Ware (Angoulême, janvier 2009) et Francis Masse (Lyon, février 2009), exceptées les paroles de Stéphane Blanquet, issues du catalogue de l’exposition ‘Quintet’ (éditions Glénat).(2) L’expression est de Christian Rosset, qui a réalisé l’introduction du catalogue de l’exposition ‘Quintet’. Il est également l’auteur de l’excellent essai critique sur la bande dessinée ‘Avis d’orage en fin de journée’ (éditions L’Association).

Lien : http://www.evene.fr/arts/actualite/bd-bande-dessinee-musee-quintet-lyon-1822.php